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Au fil des ans, les méthodes artisanales ont fait place à une mécanique marketing et commerciale parfaitement rodée. Le modèle économique du Tour de France est une fusée à trois étages : 10% des recettes proviennent des collectivités, 40% du sponsoring et 50% des droits TV. Grande force d’ASO, le groupe organise et vend lui-même son épreuve reine aux chaînes et annonceurs. Tout en disposant de relais médiatiques de poids puisqu’il est placé sous la houlette du groupe Amaury qui abrite Le Parisien-Aujourd’hui en France et l’Equipe dans une autre filiale.  

On ne refuse rien au Tour de France. Il y a tout juste un an, ses coureurs
et la caravane qui l’accompagne avaient eu le droit en Angleterre à une réception digne d’une visite d’Etat : « God Save The Queen » et « La Marseillaise », des avions de l’armée de l’air britannique
laissant derrière eux de longues traînées bleu-blanc-rouge ; un départ officiel donné par le prince William, son épouse Kate et le prince Harry eux-mêmes ; une fin d’étape sous les fenêtres
de Buckingham Palace... Pour sa 102ème édition, qui s’élancera samedi d’Utrecht, les Pays-Bas
tout entiers s’apprêtent à célébrer à leur tour le troisième plus grand évènement sportif après
​ la Coupe du Monde et les JO.

Une histoire liee au Tour de France

Nés des mêmes pères fondateurs au début du XXe siècle, les destins du quotidien sportif et du Tour sont liés. Elaboré initialement comme un événement promotionnel, « un moyen d’action au service du journal », comme le disait Jacques Goddet (2) – directeur du Tour de France de 1936 à 1987 –, le wagon est devenu la locomotive de l’attelage. Aujourd’hui, si les deux entités sont indépendantes, la couverture d’évènements maison assurée par l’écosystème de l’Equipe demeure un soutien appréciable. « L’Equipe, L’Equipe 21, et Lequipe.fr sont le bras armé de la promotion du Tour », estime Bruno Bianzina, directeur-général adjoint de Sport Market.  

Cette année,  Krys a rejoint ce comité premium en devenant le partenaire du maillot blanc du meilleur jeune, à la place de Skoda. « Le Tour met en avant l’aspect made in France de notre enseigne et permet de nous faire gagner en notoriété à l’international », explique Jean-Pierre Champion, directeur général du groupe d’optique. Au sein de la caravane publicitaire, la composition du reste des partenaires, déboursant de 120.000 à 1,5 million d’euros selon leur rang pour être de la fête, constitue aussi un cocktail de sociétés tricolores et de marques étrangères. Parmi ce peloton hétéroclite, on retrouve Banette, Cochonou, Teisseire mais aussi les récents arrivés que sont l’américain McCain, le néerlandais Senseo ou encore le sud-africain Dimension Data.

Le Pérou, la Bolivie ou l’Argentine ne se font pas prier pour que la course fasse étape chez eux, moyennant un ticket d’entrée de 5 à 6 millions de dollars pour l’arrivée ou le départ, assortis de quelques étapes. « Le Dakar n’a jamais été aussi fort sur un plan économique », note Etienne Lavigne, le directeur de l’épreuve. Cette activité dégage entre 20 et 25 millions d’euros de revenus par an, selon un bon connaisseur du dossier.

Autre évolution criante : l’internationalisation à marche forcée d’une course demeurant pourtant un monument historique, ancré dans le paysage français. Deux ambitions paradoxales, qui expliquent le savant dosage de tradition et de modernité caractérisant l’image et le fonctionnement du Tour. La liste des partenaires en témoigne.  

Si on la compare souvent à ces deux autres rendez-vous planétaires, la Grande Boucle a ceci de particulier qu’elle est l’unique épreuve de cette envergure aux mains de propriétaires privés, et non d’une fédération. Son aura explique à elle seule la croissance fulgurante du groupe d’Amaury Sport Organisation (ASO). « Entre 1980 et 2000, ce qui n’était qu’une PME s’est transformée en méga-industrie », explique Jean-François Mignot auteur du livre « L’histoire du Tour de France » (1), dans lequel il souligne que le chiffre d’affaires de l’épreuve a été multiplié par 10 en trente ans. En l’occurrence, ce dernier s’élève aujourd’hui à près de 100 millions d’euros, ce qui représente la plus grosse part des revenus d’ASO, passés de 121 millions à 180 millions d’euros entre 2008 et 2013. La rentabilité du groupe ? Supérieure à 20%, assure un bon connaisseur de la maison.

Ses deux épreuves phares revigorées, de nouveaux défis attendent ASO. «Elle est en marche mais l’internationalisation du groupe doit s’accélérer », conseille Vincent Chaudel, expert sport chez Kurt Salmon. Un mouvement qui pourrait se traduire par des rachats. D’autant qu’une vente possible du « Parisien » à LVMH [propriétaire des « Echos », NDLR], en cours de négociation, pourrait permettre au groupe Amaury d’accélérer son développement dans le sport au sein de ses filiales « L’Equipe » et ASO. « Nouveaux partenariats ou croissance externe, rien n’est encore arrêté », confie Philippe Carli, directeur général du groupe Amaury. « Nous allons renforcer la présence d’ASO à l’étranger en ouvrant plusieurs bureaux. Notre priorité est de développer nos activités grand public en Europe ainsi qu’aux Etats-Unis  », poursuit-il. 

Au sein du Club du Tour, sorte de sponsoring de rang 1, on retrouve pour la première fois cette année le constructeur auto tchèque Skoda (qui remplace le PMU pour le maillot vert du meilleur sprinter pour 3,5 millions d’euros par an), aux côtés de Vittel et Carrefour (maillot à pois du meilleur grimpeur) et LCL, qui débourse plus de 7 millions d’euros pour être visible sur le maillot jaune. Des sponsors recherchant une exposition bien au-delà de nos frontières : « LCL a clairement une visée hexagonale en nous accompagnant. Mais Carrefour est une société d’envergure mondiale et Vittel est une filiale du groupe suisse Nestlé », observe Laurent Lachaux, directeur commercial des partenariats d’ASO.

03 -  De Paris-Roubaix

au Tour du Qatar

04 - La maison ASO tremble

sur ses fondations 

05 - Cap sur le running

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02 - Un mix de "Made in France"
​ et de mondialisation 

01 - Public-Privé

01 - Une histoire liée

au Tour de France

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Bruno Bianzina

Directeur général adjoint de Sport Market


  •  Pour qu’il y ait le sommet d’une pyramide, encore faut-il une base. Comme tout leader d’un secteur, ils n’ont pas intérêt à travailler dans un environnement dégradé.

Philippe Carli

Directeur général du groupe Amaury


Nous allons renforcer la présence d’ASO à l’étranger en ouvrant plusieurs bureaux. Notre priorité est de développer nos activités grand public en Europe ainsi qu’aux Etats-Unis.

350 000 €

Le prix payé par la province de Liège

pour l'arrivée à Huy et le départ depuis Seraing 

Le prix payé par une ville française

pour une arrivée d'étape  

110 000 €

65 000 €

Le prix payé par une ville française

pour un départ d'étape 

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Golf

Voile

Cyclisme

Evénements grands publics

Rallye-raid

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4 millions €

Le prix payé par Utrecht pour le départ

du Tour de France 2015

Yann Le Moenner

Directeur général d'ASO


 Le transfert du Dakar en Amérique du Sud en 2009 a été une renaissance.

Gilles Dumas

Coprésident de l'agence Sportlab


Le running est leur vraie réussite du moment. Ces épreuves sont faciles à démultiplier et très rentables car les frais d'organisations sont marginaux.

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Le Tour de France : une fusée à 3 étages 

50%

Des revenus

proviennent des Droits TV

40%

Des revenus

proviennent du sponsoring

10%

Des revenus

proviennent des collectivités

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Le choix du lieu de départ du Tour illustre encore mieux son internationalisation croissante. Si la Grande Boucle s’élance de plus en plus souvent en dehors de l’Hexagone – ce fut le cas à six reprises lors des neuf dernières éditions – elle se cantonne pour l’instant à l’Europe, ignorant les appels du pied plus lointains, même si des rumeurs récurrentes font état de contacts avec le Qatar, la Chine voire même plus récemment la Thaïlande ! Avant de toucher le Graal, la municipalité d’Utrecht « a été candidate pendant une dizaine d’années », raconte Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint de la branche cyclisme chez ASO. Très demandé car ultramédiatisé, ce « grand départ » a été facturé 4 millions d’euros à la ville hollandaise, quand le ticket d’entrée pour les autres villes-étapes va de 65.000 euros (départ) à 110.000 euros (arrivée) en France, et le double à l’étranger. 

Le reste de l’année, ASO organise une vingtaine d’autres courses cyclistes professionnelles. Dynamique, cette activité est un mix toujours dosé de rétro et de dernier cri. Propriétaire de la classique Paris-Roubaix (créée en 1896), depuis 2002, la filiale d’Amaury alterne rachat de courses historiques et lancement de nouvelles épreuves dans des contrées éloignées des racines du cyclisme. Ces treize dernières années, le groupe a mis le grappin sur le Dauphiné Libéré et Paris-Nice, tout en devenant prestataire de services du Tour d’Oman, du Qatar, ou encore en s’associant au tout neuf Tour du Yorkshire. 

Même si certaines courses sont à peines rentables, cet investissement est nécessaire pour préserver l’actif « Tour de France » car ces épreuves assurent la vitalité du cyclisme à l’année.

« Pour qu’il y ait le sommet d’une pyramide, encore faut-il une base. Comme tout leader d’un secteur, ils n’ont pas intérêt à travailler dans un environnement dégradé », résume Bruno Bianzina. 

Mais ASO ne rime pas seulement avec vélo. Organisant 60 événements par an, le groupe a racheté le Tour de France à la voile en 2012 et possède le prestigieux Alstom Open de France (golf). Surtout, le rallye-raid est l’autre grande composante du groupe. Fondé en 1992, ASO est une fusion entre la Société du Tour de France et TSO, qui organisait depuis 1978 la course qui s’appelait alors Paris-Dakar. 

Des turbulences   dont le groupe s’est tiré haut la main. Groupe familial à l’actionnariat stable, ASO a su faire le dos rond et ne pas se disperser. Aujourd’hui, la hache de guerre est enterrée avec l’UCI – bien qu’ASO ait récemment menacé de retirer ses compétitions du calendrier international, mécontent de la réforme engagée par l’institution – et la machine Tour de France tourne à plein régime. De son côté, la fanfare Lagardère Sports a enchaîné les fausses notes et se montre plus discrète. Le Dakar ? « Le transfert en Amérique du Sud en 2009 a été une renaissance », estime Yann Le Moenner, directeur général d’ASO. 

 Ces deux épreuves demeurent la façade du groupe. Pourtant, à l’orée des années 2010, la vieille maison a tremblé sur ses fondations. Dix ans après l’affaire Festina, le cyclisme, et à travers lui le Tour de France, se débat encore dans les affres du dopage, tandis qu’ASO et l’UCI (Union cycliste internationale) sont en plein bras de fer concernant la réforme du calendrier mondial et l’organisation des courses. Le Dakar, lui, est contraint d’annuler son édition 2008 en raison des menaces terroristes. Pour couronner le tout, le groupe Lagardère débarque avec tambours et trompettes dans le sport business, montrant ouvertement qu’il compte piétiner les plates-bandes d’ASO en rachetant le Tour d’Allemagne (cyclisme) ou en organisant la Transorientale (rallye-raid). 

Boues, barbelés, bains d’eau glacée : ces courses s’apparentent à un parcours du combattant. Créées en 2013, elles devraient réunir près de 80.000 personnes cette année. « Le running est leur réussite du moment. Ces épreuves sont faciles à démultiplier et très rentables car les frais d’organisation sont marginaux », estime Gilles Dumas, coprésident de l’agence SportLab. Là encore, l’activité repose sur un mélange heureux d’épreuves classiques et de courses new age. La griffe ASO.

En l’occurrence, la PME de 250 salariés mise tout particulièrement sur le running, en plein essor. ASO, qui organise déjà une trentaine d’événements, s’est considérablement développé dans la course à pied ces dernières années. Dans son portefeuille, le groupe compte notamment Le 10 km de « L’Equipe » ainsi que le Marathon et le Semi-Marathon de Paris dont les éditions 2015 ont réuni près de 115.000 participants en tout. En mai dernier, le groupe a lancé Run at Work, une course entre collègues de travail en plein cœur de la Défense. Mais ce sont surtout les « Mud Day » qui s’imposent comme leur nouvelle épreuve la plus prometteuse.

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La maison ASO tremble sur ses fondations  

Cap sur le running

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De Paris-Roubaix au Tour du Qatar  

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Un mix de « made In France » et de mondialisation  

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Au fil des ans, les méthodes artisanales ont fait place à une mécanique marketing et commerciale parfaitement rodée. Le modèle économique du Tour de France est une fusée à trois étages : 10 % des recettes proviennent des collectivités, 40 % du sponsoring et 50 % des droits TV. Grande force d'ASO, le groupe organise et vend lui-même son épreuve reine aux chaînes et annonceurs. Tout en disposant de relais médiatiques de poids puisqu'il est placé sous la houlette du groupe Amaury qui abrite « Le Parisien-Aujourd'hui en France » et « L'Equipe » dans une autre filiale.

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Texte : Nicolas Richaud

Réalisation : Pierre Demoux, Julien Feret, Nicolas Richaud

Photos : Caroline D’Avout / Arnaud Poilleux 

Infographie :  Jean-Marie Colomb, Elsa Dicharry, Thomas Guillembet, Michaël Mastrangelo

Crédits Photos : AFP / Sipa / ASO / Sport Market / Groupe Amaury / DR

Crédit vidéo : INA

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(2) Extrait de « L'Equipée belle », autobiographie de Jacques Goddet, Robert Laffont/Stock.

(1) Aux éditions La Découverte.